Entrevue avec Mahamat Nour Abdéramane Barka, un poète à l’appel de la fraternité humaine…

2 août 2018

Entrevue avec Mahamat Nour Abdéramane Barka, un poète à l’appel de la fraternité humaine…

Mahamat Nour Abdéramane Barka est un jeune auteur qui fait partie de la nouvelle génération qui brille sur le plan littéraire. Publié en fin 2014, son premier livre est marqué à l’empreinte de l’engagement et de la prise de conscience… Pour beaucoup, il est l’héritier d’Aimé Césaire par sa poésie marquée de militantisme qui découle dans un style vif et virulent. Depuis cette première parution, il est sous silence : panne d’inspiration ou retraite ? À cette occasion du concours de la poésie organisée par l’UNHCR Tchad, il est primé comme troisième lauréat et nous l’avons rencontré pour vous dans les coulisses de l’Institut Français du Tchad.  

Est-ce un honneur d’être primé ce soir parmi plus de cent manuscrits en jeu ?

C’est évidemment un grand honneur pour moi. Au-delà d’être honoré, je suis aussi ravi d’avoir participé, car c’est une bonne cause. En écrivant ce poème, je me vois déjà comme un poète à l’appel de la fraternité humaine, parce que je suis de ceux qui pensent qu’il faut accueillir les étrangers, une place, une assiette, un verre d’eau, un sourire, c’est un peu cela qui est essentiel. Et de la poésie aussi. Elle aide. C’est un bouclier humain contre la violence sous toutes ses formes. Et puis, après tout, les poètes sont comme les enfants; ils aiment toujours être distingués et reconnus. Je souligne aussi que l’émulation est ce qu’il y a de plus édifiant pour moi, puis que je suis en train de me former et il faut que je me confronte à d’autres talents.

Déclamation de poème CC/UNHCR

Qu’est-ce que cette distinction signifie pour vous ?

Je me dis que je peux tout obtenir par le travail. Je suis en train de travailler, de retravailler ma façon d’aborder les choses, mon style, mon écriture… Alors cette distinction me fait savoir que je suis sur le bon chemin, car rien n’est difficile pour un auteur s’il est confirmé par ses pairs, – notamment réconforté par le Jury qui dit avoir touché à la qualité dans mon travail. Et puis, c’est pour la première fois que je vois mon nom aussi bellement écrit; j’ai pensé que c’est une belle secrétaire qui l’aurait écrit dans mon attestation, je voudrais alors l’encadrer et l’appliquer à mon chevet pour voir cette écriture féminine. Et la valeur pécuniaire ne veut pas dire grand-chose. Il faut de tous temps encourager la création d’esprit. Il faut prêter son nom et son génie aux causes humaines.

Que retenez-vous de cette soirée ?

Les pièces de théâtre présentées, les chorégraphies uniques en leur genre, l’émotion que nous avons vécue le temps de la déclamation des poèmes et le fait que nous pouvons tous réagir humainement… Sincèrement, c’est une soirée de génies et de talents. Pour dire vrai, je suis charmé par la voix de la petite actrice centrafricaine. On dirait que les timbres de sa voix sont divins. C’est l’incarnation de l’élégance. Elle a du talent. Elle mime ses émotions. Elle nous a tous foudroyés en plein cœur. En regardant son sourire enjôleur, j’ai cessé d’être une personne ordinaire…

Qu’est-ce que la dame, représentante du monsieur le ministre Ahmat Bachir Mahamat, vous a chuchoté pendant qu’elle vous remettait l’enveloppe ?

Beaucoup de choses. Dans de tels moments, les gens s’illustrent par la façon de débiter un concert de compliments aux gagnants. Mais cette femme m’a aussi beaucoup conseillé. J’aime beaucoup la pensée de Nicolas Boileau selon laquelle: « Aimez qu’on vous conseille, et non pas qu’on vous loue ».

Votre participation témoigne-t-elle que vous êtes sensible au thème des réfugiés ?

Oui, absolument. J’ai vécu deux fois la guerre dans mon âme, à 12 ans et puis à 14 ans, à N’Djamena. C’est l’âge où je m’apprêtais à entrer dans le monde des adultes et ils m’ont accueilli avec un tel programme. J’aurais pu, mine de rien, devenir un réfugié. Et aujourd’hui même, je me sens comme un réfugié, parce que chassé par toutes ces violences vécues au printemps de ma vie, je m’étais obligé de trouver un refuge ailleurs. Ma terre d’exil n’est autre que la poésie qui est un espace de liberté toujours renouvelé, puis que j’ai passé l’après-guerre à écrire. Parfois, je me dis que je fuyais la violence pour la poésie, peut-être… Mon souhait est que les futures générations n’auraient pas à faire face à ces deux tragédies que j’ai vécu et qui ont peut-être changé le cours de ma vie. Pour cela, il faut privilégier l’éducation et la culture.

Pourtant votre poème ressemble aux cris d’un réfugié ? Et chaque ligne est pleine de beautés et d’émotions…

Je reste éternellement un réfugié dans mon âme, mais ma patrie d’exil est la poésie ou la prose tout simplement. Souvent, je me trouve tiraillé entre désir d’oublier ces drames et urgence de les mettre sur des mots pour que nous nous souviendrons toujours qu’il y a eu du feu et du sang dans ce pays-là. Il ne faudrait pas que l’amnésie nous frappe; sauver notre mémoire pourra nous apaiser et nous permettre de nous reconstruire. La tragédie peut parfois être un repère pour la reconstruction, le Rwanda nous l’a prouvé par tout ce qu’il a fait après le génocide. Et ce poème tire sa substance de mon vécu qui fait partie du récit national. Il faut continuer à le construire. Et, je pense que la littérature tchadienne qui doit jouer un rôle crucial pour la mise en forme de l’histoire -donc de la mémoire- n’a pas pris en charge l’histoire du Tchad dans son ensemble; je suis par exemple un enfant du Tchad et je ne sais rien de ce qui s’est passé sous le régime du président Félix Malloum. Je me dis qu’il y a une fuite de responsabilité qui entraînera une fuite de mémoire. Il ne faut pas oublier qu’on a le devoir de s’informer de son passé et de le sauvegarder pour la postérité.

Vous dites dans votre poésie: « J’ai fui mon espace truffé de violence et d’hostilité/Et j’ai trouvé refuge parmi les peuples de solidarité ». Comment ces mots vous viennent ?

Je suis un laborieux… Nicolas Boileau disait, je cite de mémoire: « Chaque vers, chaque mot court à l’évènement ». L’urgence m’inspire. En tissant ces vers, je me suis pressé par l’urgence de partager des émotions avec des gens qui étaient obligés de quitter leur pays. Et quand on quitte son pays pendant ces situations, on devient méfiant ou source de méfiance dans un autre pays. Mais pour détruire ce mur élevé entre les réfugiés et moi dans mon propre pays, j’ai écrit ce poème que je considère comme un pont qui me permettra d’aller vers eux avec amour, en espérant qu’ils viennent vers moi sans méfiance et sans le moindre sentiment d’appréhension. Il y a des amours qui sont ainsi nées. Et de ces amours sont nés ensuite beaucoup de gens. Ce sont les fruits de cette fraternité humaine.

En vous lisant dans ce poème écrit en hommage aux réfugiés, on a l’impression que vous aimez le nomadisme ?

J’aime tout ce qui embellit le genre humain. Je peux bien être un nomade. Mon père se considérait déjà comme un nomade avant et après ses études; aller dans une région parmi des gens qu’il ne connaissait pas, installer sa tente en leur sein, partager leur thé et leur pain, vivre leur deuil dans son âme, vivre avec eux dans un climat de fraternité et d’amour, puis un matin, rongé par l’envie d’ailleurs, il se mettait en direction d’une autre région, en pensant qu’on pourrait toujours lui réserver cette hospitalité qui nous est innée. Je pense que c’est un thème romanesque qui épuiserait tout le génie et la force d’un écrivain, et j’ai même envie d’écrire sur mon père, car il fait partie de la première génération. Je me dis que cette première génération a laissé à la deuxième génération la charge de parler d’elle. Peut-être la troisième génération aura la générosité de parler de nous…

Êtes-vous toujours animé par la rigueur de bien faire ce que vous faites ?

Dans le monde de création, je suis un perfectionniste et j’ai prêté une oreille au mot d’érudit Honoré de Balzac qui dit: « Il faut toujours bien faire ce qu’on fait, même une folie ». Depuis que j’ai vue pour la première fois une éminente personnalité tchadienne, j’ai nommée Bintou Malloum, j’ai pris conscience qu’il faut bien faire ce que j’ai à faire. Je crois qu’en lisant son parcours on ne peut plus édifiant, elle m’a enseigné la ponctualité, la rigueur intellectuelle, le travail bien fait, etc.

Quand ferez-vous votre retour sur la scène littéraire tchadienne, c’est-à-dire la parution de votre deuxième livre ?

Bientôt. Avec le mois du livre institué par Mahamat-Saleh Haroun, j’ai réalisé que le lectorat tchadien devient de plus en plus exigeant. La qualité est vite devenue son souci majeur. Je pense que cette exigence nous amène au travail. Et j’ai toujours jugé nécessaire qu’il faut sortir du laisser-aller et de la facilité qui sont devenues des pièces maîtresses d’une certaine culture contemporaine. Alors, il faut mûrir son écriture pour donner plus de la qualité à la littérature tchadienne. Et puis, il ne faudrait pas perdre de vue que tout ce qui est écrit continue de vivre dans l’aisance; cinquante ou cent ans plus tard naîtra une génération d’excellents auteurs et ils diront de nous: « Nos devanciers étaient des écrivaillons; ils avaient fait des bêtises en croyant qu’ils fabriquaient des livres». A coup sûr, cela ferait mal aux écrivains dès l’outre-tombe.

La littérature tchadienne n’est-elle pas à la marge aujourd’hui ?

Non. Ce serait une insulte pour les écrivains et pour ceux qui lisent de dire que la littérature tchadienne est marginale, mais peut-être marginalisée par les gouvernants qui n’ont aucun intérêt pour la culture. Aujourd’hui, il y a une jeunesse qui a un certain engouement pour les livres. Il faut renforcer cela avec la création des magazines, des émissions, des espaces, des festivals, des revues dédiés à la littérature. Cela, si j’y crois bien, ne coûterait pas cher pour des gens qui se marient à coup de milliards et qui sont armés jusqu’aux dents. Et puis, il faut aussi mettre en place de bonnes structures éditoriales pour permettre aux jeunes écrivains en herbe d’exprimer leur talent sans avoir le souci de dépenser beaucoup d’argent…

Citez les écrivains tchadiens que vous aimez le plus et pourquoi ?

Naturellement, j’aime beaucoup Joseph Brahim Séid qui est l’ancêtre de la littérature tchadienne, Baba Moustapha et Maoundoé Naindouba pour leur sens de l’engagement et leur talent jusque-là inégalable. Il y a aussi Nimrod, Nétonon Nöel N’Djékery et Koulsy Lamko qui me fascinent depuis tout petit. Parmi les auteurs de la nouvelle génération, j’ai voué une grande admiration à Djiddi Ali Sougoudi, Brahim G. Dadi et Souleyman Abdelkerim Chérif qui sont sans doute mes référents littéraires, ce sont des romanciers qui excellent dans l’art de conter et de décrire. Il faut les lire pour s’en rendre compte. On a aussi beaucoup de jeunes pétris de talent comme Joslain Djéria qui est mon parrain. Et je crois que nous avons un avenir radieux sur le plan littéraire.

Et parmi les femmes qui ont écrit…

Ce serait pur égoïsme de ne pas parler de nos écrivaines. J’ai de l’admiration pour Marie-Christine Koundja qui n’est pas prolifique, hélas. Sinon, elle aurait sûrement volé la vedette aux écrivains. Peut-être qu’elle a d’autres chats à fouetter. Et j’admire aussi Clarisse Nomaye qui est d’un talent incroyable. Ces dernières années, beaucoup de femmes ont commencé à écrire, ce sera une grande joie de les lire. Et j’ai hâte de lire un Tchad raconté par des femmes. Ce sera l’un de plus beaux cadeaux qu’elles ne cessent de faire aux hommes.

Nous assistons aussi à une percée de jeunes écrivains, comme vous, parmi les grands. Comment vous pouvez expliquer cette prise de conscience ?

Les gens ne le savent pas, mais il faut le dire: cette percée est inaugurée par Joslain Djéria en 2010, en publiant son premier livre alors âgé de vingt ans. Puis, peu après, nous avons assisté à un florilège de productions littéraires, écrites par des jeunes doués de talent et de génie. Ils sont nombreux. Et je suis vraiment content de cette prise de conscience, parce que le Tchad était longtemps considéré comme un pays de guerre et de violence, ne pouvant écrire son histoire. Nous avons pu démontrer que le Tchad est un pays de création d’esprit. Mais pour cela, il faut encore du travail. Il faut se mettre à l’ouvrage avec humilité.

Vous êtes-vous aussi lancé dans l’écriture romanesque ?

J’étais dans le domaine lyrique depuis mes quatorze ans. J’aime conter. Oui, j’ai écrit deux romans que j’ai classés dans mon tiroir. Ils ne seront pas édités probablement. Et maintenant, je suis en train d’écrire un troisième roman que j’achèverai dans quelques années. Vous savez, j’aime le nouveau roman qui est trop rebelle, qui ne respecte pas les règles de l’écriture romanesque… Il n’est pas assujetti aux contraintes de narration et de description. Il peut allier conte, théâtre, poésie…Le conformisme, en art, n’a plus aucun sens pour moi.

Qu’est-ce que l’engagement pour vous ?

Je pense que l’écriture est une activité pénible, qui demande tant d’années de travail dans la patience et la solitude. Alors toute personne qui s’adonne à cette activité est, selon moi, engagée. S’adonner à l’écriture, c’est déjà s’engager. Personnellement, je veux me mettre au service des valeurs que je partage, car je les juge dignes d’œuvrer pour l’élévation de l’humanité.

Parlez-nous des auteurs qui vous inspirent…

À mes débuts, je suis inspiré par des femmes américaines. Phillis Weathley est mon repère littéraire. C’était une esclave capturée à sept ans, devenue poète à treize ans où elle publiait quelques poèmes qui ont connu un succès retentissant. Mais quelle magie ! Je me dis que le mal qui révulse peut aussi rendre artiste. Elle était sommée de défendre son talent dans une cour de justice lors d’un procès, parce qu’un enfant de couleur ne pouvait pas avoir un tel talent. Sa défense victorieuse devant la cour et la publication de son premier recueil de poèmes étaient considérés à l’époque comme la première reconnaissance d’une littérature noire. Elle était la première femme de lettres à recevoir l’hommage de G. Washington qui aimait beaucoup ses poèmes. Je suis aussi inspiré par des grandes plumes comme Maya Angelou, Toni Morrison, Gwendolyn Brooks… Je pense que toutes ces femmes étaient issues des familles d’esclaves et avaient vécu le racisme dans leur âme. Alors leurs livres sont comme une expression de révolte et de rébellion. C’est peut-être pour cela qu’elles m’inspirent. Et puis, je suis marqué par d’autres figures féminines qui n’ont pas pu écrire leur peine. Je pense à Rosa Parks, Sara Breedlove, Correta Scott King, Angela Davis, Kathleen Cleaver… Aujourd’hui, j’ai un grand penchant pour les pensées de Christiane Thaubira et celles d’Oprah Winfrey. Au Tchad aussi, il y a beaucoup de femmes qui m’ont marqué…

Et pas des hommes ?

Si. Mon adolescence a été marquée par les poètes de la négritude. Pendant les récréations, je m’isolais pour lire les poèmes de David Diop et Damas. J’ai grandi en lisant ces hommes doués d’une grande violence verbale. Aimé Césaire et Senghor étaient mes poètes de référence. J’aime aussi les poésies de Saint John Perse, Arthur Rimbaud, Victor Hugo, Charles Baudelaire… Je pense que ma poésie est façonnée par une myriade de styles. Et j’ai aussi d’autres figures marquantes pour source d’inspirations. Comme Abraham Lincoln, Martin Luther King, Mohamed Ali, Malcom X, Patrice Lumumba…

Y a-t-il des figures du cinéma, de la peinture ou d’une autre discipline qui vous ont marqué ?

Oui, bien sûr ! Sur le plan filmique, je suis plutôt amoureux d’une belle actrice indienne qui a changé ma conception de vie en quelques secondes où je l’ai vue en gros plan. C’était peut-être Silpa Shetty ou Juhi Shawla. Il y avait de la tendresse et de l’amour dans son regard. Comment un enfant pouvait-il résister à ce qui est irrésistible ? Il y a aussi Jackie Chan qui a donné un certain agrément à mon enfance, quoi. Les films de Marilyn Monroe et ceux de Rita Howart m’ont initié à la sensualité. C’est le corps qui s’exprime et parfois une mimique suggestive. J’aime la puissance et la générosité de la caméra qui m’a offert cette intimité. En sortant de vidéo-club, j’avais l’impression d’avoir touché le corps de ces belles dames. C’était utopique. J’aime aussi les œuvres cinématographiques de Jean-Luc Godard, François Truffaut, Alfred Hitchcock, Idrissa Ouedragaou, Mahamat-Saleh Haroun… Il y a de la poésie dans leurs films. Leurs films ont la force et la cohésion d’un bon roman. J’adore aussi les tableaux de Picasso. Les Demoiselles d’Avignon est un chef-d’œuvre. Quand je l’ai vu pour la première fois, je me suis dit que ce Pablo Picasso devait être un dieu de création, inspiré par des déesses vierges de l’Andalousie de l’époque.

Quels sont les deux films qui vont ont marqué ?

Les quatre cent coups de François Truffaut. Mais quelle tragédie: quand Antoine Doinel voit sa mère en train d’embrasser son amant dans la rue, c’est la fin du monde, c’est l’Apocalypse. Comment peut-on être si cruel à l’égard des mères ? Et puis Abouna de Mahamat-Saleh Haroun pour tout le silence imposé par un départ brutal d’un père et aussi la poésie de cette tristesse.

Il y a une grande part de la musique dans votre poésie; vous aide-t-elle dans votre écriture ?

J’ai passé mon adolescence à écouter de la musique classique; je savourais les chansons de Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Nina Simone, Bob Marley, Césaria Evora, Dizzy Gillepsie, Fela Kuti, Michael Jackson, Miriam Makeba, Boby Lapointe… J’ai toujours l’impression qu’il y a quelque chose de militant dans ces voix qui sont d’une noblesse sans pareille. Oui, ma poésie était marquée par cette musique que j’écoutais au moment où le déclic d’écrire m’est venu… Mais je n’écoute plus de la musique aujourd’hui. Il ne faut pas en parler, même si je sais que la nouvelle génération brille par sa décadence et son manque de pudeur. Je parle un peu de Damso, Kaaris, Dadju, PNL, Booba, Ninho, Gims, Orelsan, Niska qui ne donnent pas du tout envie d’écouter de la musique. Mais je reconnais aussi qu’une nouvelle race de musiciens, qui chantent comme des poètes, s’est érigée. Je peux citer Vianney, Marwa Loud, Louane, Christophe Mae…

D’après tous les livres que vous avez lus, quel personnage d’un livre vous ressemble ?

Mon sosie est sans doute Chatterton qui est un poète maudit. C’est un personnage inventé par Alfred de Vigny. Il me ressemble tellement que je serais tenté de croire qu’Alfred de Vigny me connaissait ou avait parlé de moi. Mais non, détrompez-vous ! Je n’aurais pas fait ce qu’a fait ce poète et je crois qu’il n’est pas maudit, mais incompris par des gens qui étaient ses propres contemporains… Aujourd’hui, nous le comprenons mieux.

Dans la littérature tchadienne, quels personnages vous aimez…

J’aime Alice, Modo, Nadika, Daraya, Zargoya… Elles sont belles ou disons: ces auteurs ont réussi leurs descriptions et même leur façon de les faire exister sur papier. Vous savez, il y a des personnages qui peuvent traverser les époques, comme Mulube…

Quels sont les deux derniers livres que vous avez lus et que retenez-vous de ces lectures ?

Mes deux dernières lectures sont : Les voleurs de sexe de Janis Otsiemi et Tram 83 de Fiston Mwanza Mujila. J’ai retenu que le roman dit rebelle permet au romancier de dire ce qu’il a sur le cœur sans rien craindre. C’est un genre qui donne une licence de dire tout avec beaucoup de liberté. C’est audacieux. Il se moque du tabou et du conservatisme. C’est une création qui déflore les personnages et qui est ironique.

Quelles seront vos prochaines lectures ?

Je ne suis pas sorcier de Tshibanda Wamuela, Jazz et vin de palme d’Emmanuel Dongala, La pêche à la marmite de Dominique Mwankumi.

Quels sont les livres que vous ne cesserez jamais de feuilleter ?

Le gai savoir de Friedrich Nietzsche, Le Spleen de Paris de Charles Baudelaire, Les coups de pilon de David Diop, Au Tchad sous les étoiles de Joseph Brahim Séid, Le cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, Une si longue lettre de Mariama Bâ, Les frasques d’Ebinto d’Amadou Koné, Pigments de Damas, Chants d’ombre de Senghor…

Quel est votre bilan littéraire de l’année en cours ?

J’étais juré en avril dernier lors de la semaine du livre, dénommée IQRA’A pour le concours de résumé d’une œuvre tchadienne. Le Jury est constitué de Dr Ahmat Beïn, Papa Mirangaye (enseignant de Français) et moi. Et je suis en train de poursuivre quelques expériences avec les éditions L’Harmattan. Je travaille à présent sur un grand projet avec le Centre Culturel Al-Mouna. Et pour finir l’année, je viens d’être contacté pour faire partie du jury de la toute première édition d’un concours littéraire. C’est mon année artistique qui sera peut-être achevée par la sortie de mon deuxième livre.

Pendant le concours du résumé tenu au Palais de 15 Janvier, vous avez soutenu les deux candidates du Lycée Iqra (ex-Hec Tchad) et du Lycée Sacré-Cœur… Pourquoi ?

Non, pas du tout. Ce sont deux jeunes filles pleines de talent; elles ont mérité de rafler la mise aux autres candidats. Je suis charmé par leur présentation et surtout leurs copies. Elles parlent bien. Avec de belles locutions. J’ai plus tard appris que l’une d’entre elles est la nièce d’un grand auteur tchadien. Et j’aurais aimé que la vidéo de la compétition soit diffusée sur YouTube. On va vite se rendre compte de leurs performances tout à fait exceptionnelles. Je me suis dit que ceux qui travaillent pourront aspirer à ce niveau-là. On s’élève par le travail !

Quels sont les auteurs qui vous impressionnent quand ils parlent ?

C’est une très belle question ! On serait tenté de croire qu’un écrivain est un fin orateur. Mais non. En 2014, Patrick Modiano, en recevant le Prix Nobel de Littérature, avait du mal à s’exprimer. Il a même souligné que l’écrivain est doué pour l’écrit que pour l’oral. L’art oratoire est réservé à d’autres domaines. Et souvenez-vous aussi d’Ernest Hemingway qui est un grand auteur; il avait refusé de venir glaner le Prix Nobel de Littérature à cause de ses difficultés d’élocution, en envoyant tout simplement un bout de papier, lu par l’ambassadeur américain de l’époque. Quand Senghor et Césaire parlent, on savait d’avance qu’il y a une grammaire chevronnée mais leur prise de parole n’était pas pour autant impressionnante. Tous les écrivains parlent comme des humains et écrivent comme des anges.

Votre dernier mot !

Je rends mes hommages à tous les écrivains tchadiens et à tous les jeunes qui écrivent. Ils commencent à donner de la visibilité à la littérature. C’est un grand pas que nous faisons tous vers la lumière. Par la culture, et par elle seule, nous pouvons sortir le Tchad de l’obscurité et de l’obscurantisme. Comme le dit Mahamat-Saleh Haroun : «Il faut allumer des bougies» pour que l’obscurité puisse à jamais disparaître. Continuons à éclairer la pièce, elle ne sera que plus belle encore.

 

On est conscient !

 

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